Entretien avec
Pauline Dalmais
As-tu dessiné sur place pour capturer les paysages et scènes de la forêt ?
Le dessin en extérieur a été fondamental durant ma formation à l’école d’Architecture, avec des cours de croquis et d’aquarelle en plein air. Après mes études, j’ai surtout pratiqué l’art à la maison, en travaillant à l’huile d’après photo. En devenant mère, j’ai ressenti le besoin de moments rien qu’à moi et j’ai recommencé à dessiner dehors. Initialement, mes dessins étaient en noir et blanc, très rigides, car je cherchais la précision.
La découverte de Marion Rivolier, aquarelliste, a été déterminante. Ses techniques, basées sur l’application de touches de couleur sans dessin préalable, m’ont permis de peindre en extérieur avec plus de liberté. Après un stage avec elle en 2022, peindre sur le vif est devenu un espace de recherche artistique pour moi.
Pour Il ne reste que le mauve, les peintures ont été réalisées en atelier, mais j’avais d’abord peint les forêts du Vercors sur place pour « capturer l’âme du lieu » (Capturer l’âme d’un lieu par la forme et la couleur à l’aquarelle, Marion Rivolier, Éditions Eyrolles, 2020). Passer du temps en forêt, que ce soit pour peindre ou simplement me connecter à la nature, est essentiel à mon équilibre quotidien.
Comment as-tu pensé les nombreux et divers plans présents dans ce livre ?
J’ai exercé la profession d’architecte pendant 18 ans, dont 12 en tant qu’indépendante. Je n’acceptais que les projets pour lesquels on me confiait l’ensemble du processus, de la conception au suivi de chantier. J’aimais autant travailler sur les plans techniques pour le maçon que créer du mobilier sur mesure. Mon objectif était de produire une architecture subtile, élégante et joyeuse.
Cette histoire existe pour de multiples raisons, mais elle a commencé par une randonnée somptueuse que j’ai faite seule à l’automne 2020. Là-haut, j’ai vécu un moment de grâce, l’un de ceux qui transforment un artiste. À mon retour, j’ai écrit un texte très court, puis je suis passée à autre chose. Un an plus tard, à l’automne suivant, ce texte est revenu à moi. J’ai réalisé à quel point ce moment m’avait reconnectée au vivant et à l’émerveillement, et l’évidence s’est imposée : il fallait que je raconte.
J’ai mené de front l’écriture du texte et la réalisation des illustrations, en allant de plus en plus dans le détail. Comme un projet d’architecture, il y a eu le brouillon, les esquisses, l’avant-projet, le projet, puis les détails d’exécution. J’allais du début à la fin, puis je retournais au début, affinant chaque fois davantage. Parfois, je me laissais surprendre par quelque chose qui émergeait de mes peintures sans que je l’aie prévu. Je m’accordais alors la liberté d’accueillir cette nouveauté et de lui trouver une place.
Certaines planches évoquent davantage l’abstraction, était-ce volontaire ?
Depuis le début, je voulais que cet ouvrage soit en mouvement. Que l’on ressente le temps qui passe, la journée qui s’écoule, les pensées qui évoluent et se dissipent. J’ai donc choisi cinq palettes de couleurs distinctes : une première, fraîche et estivale, pour la partie en ville et l’arrivée à la montagne ; une deuxième pour la splendeur de l’automne ; une troisième pour le coucher de soleil ; puis une pour le crépuscule, et enfin une dernière pour la nuit.
J’ai également rapidement décidé de commencer mon récit avec des images cadrées dans des cases, qui peu à peu s’étendent jusqu’à occuper toute la double page lorsque le personnage pénètre dans la forêt automnale. Toujours dans cette recherche de mouvement, je souhaitais que les images traduisent le lâcher-prise du personnage et que l’histoire laisse parfois place à des images abstraites, privilégiant la sensation à l’information.
J’ai mis beaucoup de temps à trouver le médium qui me permettrait de représenter la partie dans la brume. C’est le travail de Magalie Cazo qui m’a apporté la réponse. Je voulais travailler avec les encres. J’ai mis mon livre de côté pour m’imposer un travail monacal sur les encres pendant un mois, afin de trouver la solution artistique adéquate.