Entretien avec
Noelia Diaz-Iglesias
Comment t’est venue cette histoire et quelles ont été tes inspirations ?
L’idée de départ m’est venue il y a quelques années, mais sa version actuelle ne lui ressemble plus du tout, hormis la présence du parc ! À la base, je voulais uniquement parler de la peur de la nuit et du deuil, par le biais d’un doudou perdu dans un parc. Au fil du retravaille de l’histoire, j’en suis venu à parler de jalousie. Pour ce qui est des inspirations, j’ai puisé dans mes souvenirs d’enfance, quand j’allais en vacances chez ma grand-mère dans son village isolé dans la montagne. Je sortais la nuit avec mon grand frère pour retrouver des amis au parc et jouer à des jeux ou à la console sous la lumière orange des réverbères envahis de moucherons. Mais de retour dans mon lit, j’avais très peur que le loup descende de la montagne !
Comment as-tu travaillé sur cet album ? Quelle technique as-tu choisie et comment as-tu élaboré ta palette de couleur ?
Pour cet album, j’avais envie de travailler avec une technique complètement traditionnelle, contrairement au précédent (Mauvaises herbes) qui était un mélange de traditionnel et de numérique.
L’aquarelle est une peinture qui m’a toujours effrayé. Mal dosée, elle peut être rapidement très fade. Comme je ne suis pas très douée pour monter en couches, je l’avais toujours laissée de côté… Mais un jour, à l’académie où j’anime des ateliers artistiques à destination du jeune public, nous avons travaillé avec de l’aquarelle. En voyant les enfants se l’approprier de façon désinhibée et intuitive, j’ai eu envie d’essayer à nouveau !
Pour réaliser Même pas peur !, j’ai commencé par rassembler mes idées sous la forme de croquis et de notes. J’ai défini l’univers, les lieux et les personnages. Ensuite, j’ai dessiné un premier chemin de fer qui a été travaillé à plusieurs reprises. En parallèle, j’ai fait des recherches de couleurs. Je n’ai pas de méthode particulière pour définir ma palette. J’essaye plusieurs couleurs pour chaque personnage jusqu’à ce que je trouve les bonnes. Il m’arrive parfois de construire certains personnages en binôme coloré. J’inverse leurs couleurs ou j’utilise leurs complémentaires pour créer du lien visuel. Les couleurs du décor, quant à elles, vont dépendre des personnages. Ensuite, je fais des cherches de formats. Et une fois trouvé, j’attaque les planches ! Toutes ces étapes passent par des échanges précieux et enrichissants avec mes éditrices et mes ami.es.
Quelles sont les émotions à l’œuvre dans Même pas peur ! ? Et comment les as-tu traitées graphiquement ?
Le livre parle de la jalousie et de la peur du noir. Pour accentuer les émotions, j’ai utilisé différentes échelles de plans (gros plan, personnage isolé, etc.), que j’ai par moment inséré dans des cases. Mais de manière générale, je ne sais pas comment me viennent les dessins. J’ai appris énormément de manières de raconter les images, que je réutilise spontanément.
Qu’est-ce que représente la nuit pour toi (personnellement et artistiquement) ?
La nuit, c’est comme une seconde journée qui commence pour tout un autre système. Un peu comme pour la chauve-souris. La perception du monde le jour, les lieux familiers, tous nos sens sont complètement bouleversés. Les couleurs ne disparaissent pas, elles sont toujours là, mais on ne les perçoit plus de la même manière. Tout devient bleuté et étoilé. En ville par exemple, même si le ciel n’est pas d’un noir profond, les couleurs de la nuit sont plutôt jaunâtres. Et la peur ancestrale du noir revient toujours une fois la nuit tombée.
Même pas peur ! est un livre hybride où se même forme classique de l’album et bande dessinée. Pour quelles raisons as-tu procédé de cette façon ? Était-ce une forme que tu avais déjà utilisée par le passé ?
J’aime mélanger ces deux manières de raconter, il y a des codes intéressants dans les deux cas qui me semblaient adaptés à cette histoire. Et puis je pense que j’aime donner de la voix à mes personnages, les faire bouger dans la page, les voir interagir entre eux, ce qu’offre plus le médium de la bande dessinée. J’ai en effet déjà réalisé une bande dessinée jeunesse à la frontière entre ces deux univers. Elle n’avait aucune case, c’était un parti-pris pour faire courir le personnage principal dans l’espace de la double page.