Entretien croisé avec
Justine Nerini
et Laure Drouglazet

Comment s’est passée ta rencontre avec Kelly Duqueine ? Quelles ont été tes premières impressions, et comment as-tu décidé d’aborder son histoire dans ton livre ?

Justine (l’autrice) : Très bien ! On est tout de suite rentrées dans le vif du sujet. À peine arrivées, on la suivait déjà dans sa journée, qui a un rythme très soutenu pendant l’été ! On s’est immédiatement rendues à l’endroit où se trouvent ses reines d’abeilles noires, au cœur des montagnes. Le décor était tout de suite planté. Ce matin-là, Kelly était très occupée, ce qui nous a donné l’occasion de saisir la réalité de son métier et d’observer ses gestes et son organisation. En début d’après-midi, on a pris un peu le temps de discuter autour d’un café et elle nous a raconté son histoire, le chemin qu’elle a parcouru pour devenir éleveuse de reines d’abeilles noires. J’ai voulu retranscrire cette rencontre de la façon la plus authentique possible, un peu comme un carnet de bord, tout en intégrant des explications techniques nécessaires pour mieux comprendre les abeilles, leur fonctionnement au sein de la colonie et les enjeux de leur protection.

Extrait de À contre-marée de Manon Selli et Lauriane Miara, éditions Panthera

As-tu rencontré Kelly Duqueine en personne ? Comment as-tu réussi à retranscrire l’essence de son métier et de son engagement à travers tes dessins ?

Laure (l’illustratrice) : Nous avons eu la chance de passer 3 jours chez Kelly dans la magnifique vallée de la Vanoise. C’était important de la suivre dans son quotidien pour se rendre compte de son engagement et de sa charge de travail pendant la saison. C’est une femme passionnée à l’énergie débordante. Malgré les nombreux obstacles sur son chemin, elle n’a jamais cessé de prioriser le bien-être de ses abeilles qu’elle aime tant. Après la rencontre avec Kelly, j’ai lu de nombreux articles afin d’approfondir mes recherches sur le sort des abeilles noires pour pouvoir retranscrire au mieux son combat.

Quelle a été ta méthode d’enquête pour écrire ce livre ? As-tu passé beaucoup de temps avec Kelly sur le terrain pour recueillir les informations ?

Justine : J’avais déjà une petite connaissance du monde de l’apiculture, grâce à ma précédente rencontre avec un apiculteur de la région lyonnaise. Avant de partir à la rencontre de Kelly, j’avais préparé quelques questions qui me trottaient en tête, puis sur place, je me suis laissée guider par le moment. Les Français consomment beaucoup de miel, mais je pense que très peu connaissent réellement le processus de production et toute l’organisation complexe qui se cache derrière une ruche. Cela me fascinait, et plus Kelly nous expliquait son travail et la vie des abeilles, plus mes questions se multipliaient. J’ai passé deux jours à ses côtés, mais j’aurais adoré vivre une saison entière pour m’immerger totalement, observer chacun de ses gestes et voir l’évolution des abeilles au fil du temps.

Reines des pics est ton premier projet éditorial, qu’est-ce qui t’a plu avec le sujet abordé ?

Laure : Quand Marianne et Céline m’ont proposé le projet, cela m’a tout de suite parlé. Grande consommatrice de miel depuis l’enfance, j’étais vraiment curieuse de découvrir le monde de l’apiculture. De plus, je connaissais déjà le travail de Justine et son engagement pour mettre en valeur les artisans avec de belles démarches. Partir à la découverte d’un personnage aussi impressionnant et solaire que Kelly dans le cadre idéal de la vallée de la Vanoise était une promesse alléchante !

Extrait de À contre-marée de Manon Selli et Lauriane Miara, éditions Panthera

En tant qu’autrice, comment as-tu réussi à rendre le métier d’éleveuse de reines d’abeilles noires accessible au grand public tout en restant fidèle à la technicité du sujet ?

Justine : Ce n’était pas toujours facile de retranscrire la technicité du métier tout en le rendant accessible. L’apiculture regorge de termes spécifiques, parfois complexes. J’ai tenté de raconter au mieux à mon entourage ma rencontre et ce que j’avais appris, en cherchant des mots simples. Cela m’a permis de trouver les bonnes formulations pour vulgariser le sujet. Mes proches ont également relu certains passages afin de m’assurer que tout était suffisamment clair. Et je savais que je pouvais compter sur les dessins de Laure pour illustrer mes propos et en faciliter la compréhension.

Extrait de À contre-marée de Manon Selli et Lauriane Miara, éditions Panthera

Quelle est ta technique de dessin sur ce livre et comment l’as-tu pensée ?

Laure : Depuis plusieurs années maintenant, je travaille exclusivement au pastel à la cire. Les pastels sont très pigmentés et cela donne des dessins très lumineux et vibrants. La couleur est vraiment centrale dans mon travail et la gamme de nuances que je peux travailler avec les pastels me donne une grande liberté. Et puis dessiner sur un livre sur les abeilles en utilisant un outil à base de cire, je pense qu’il n’y avait pas de meilleure technique pour ce projet !

Tu alternes les pleines pages et la mise en page en cases, comment choisis-tu entre l’un ou l’autre ?

Laure : Je trouve que c’est important de trouver le bon rythme dans un récit documentaire qui peut être parfois assez technique. Alterner des pages avec beaucoup de détails précis et des pleines pages plus contemplatives permet de plonger dans le récit sans noyer d’informations le/la lecteur·rice.

Extrait de À contre-marée de Manon Selli et Lauriane Miara, éditions Panthera

Comment as-tu abordé la création des illustrations pour ce livre ? Quelles ont été tes premières sources d’inspiration pour représenter l’univers des abeilles noires et de la Savoie ?

Laure : J’ai pris beaucoup de photos pendant notre séjour chez Kelly. J’ai aussi pris le temps de me poser pour observer longuement son environnement et m’imprégner de l’ambiance générale du lieu. La gamme colorée m’est apparue très vite : un fond vert tendre, un ciel bleu gris et des touches de couleurs vives pour relever le tout.

Extrait de À contre-marée de Manon Selli et Lauriane Miara, éditions Panthera

Comment s’est passée ta collaboration avec Laure pour les illustrations ?

Justine : Je ne connaissais pas Laure avant ce projet, mais ça a été une très belle rencontre. J’adore son style, et je trouve que ses pastels se marient parfaitement avec ce sujet. On est parties ensemble à Saint-Martin de Belleville pour rencontrer Kelly, ce qui nous a permis non seulement de passer du temps ensemble, mais aussi de découvrir ce métier tout en travaillant à illustrer mes textes de la manière la plus fidèle possible. Une fois les textes rédigés, on a organisé plusieurs réunions pour discuter du storyboard et nous accorder sur la meilleure façon d’illustrer la BD. Je suis vraiment ravie du résultat : voir le texte prendre vie grâce à ses illustrations est incroyable, elle a fait un travail remarquable !

Comment as-tu collaboré avec Justine ? Avez-vous travaillé ensemble tout au long du projet ?

Laure : Nous avons travaillé en alternance. Elle s’est d’abord occupée du texte qu’elle m’a soumis une fois le 1er jet réalisé. Je me suis ensuite lancée sur la réalisation du storyboard. J’avais besoin de rentrer dans ma bulle et je lui ai soumis le storyboard une fois qu’il a commencé à être bien fourni. Nous avons une admiration mutuelle pour notre travail, et nous nous faisons confiance. On s’est donc laissé l’espace pour produire et confronter ensuite nos visions du projet. Les échanges ont été très fluides, globalement nous étions sur la même longueur d’onde 🙂

À travers Reines des pics, quel message souhaites-tu transmettre au grand public concernant l’importance de la préservation des abeilles noires et plus généralement de la biodiversité ?

Justine : J’aimerais qu’on arrête de vouloir contrôler la nature et de la modeler à des fins lucratives. Plutôt que de cohabiter avec elle, on l’exploite sans vraiment considérer les conséquences. Au lieu de nous adapter à notre environnement, on préfère bouleverser nos écosystèmes, puis tenter de réparer les dégâts avec des solutions encore plus artificielles. Si l’abeille noire a survécu sur ce territoire pendant des siècles, c’est qu’il y a une raison. On devrait prendre exemple sur elle d’ailleurs et faire preuve d’un peu plus d’humilité et apprendre à nous adapter. Un immense travail de sensibilisation reste à faire auprès des consommateurs : il faut repenser notre façon de consommer, et pour cela, montrer le travail caché derrière un simple pot de miel, qu’il s’agisse de celui des abeilles ou des apiculteurs. J’espère que cette BD y contribuera !

Couverture de À contre-marée de Manon Selli et Lauriane Miara, éditions Panthera

Reines des pics

Justine Nerini & Laure Drouglazet

À la rencontre de Kelly Duqueine, éleveuse de reines d’abeilles noires. Un reportage aux pastels sur la lutte pour sauver l’abeille noire et nos écosystèmes