Entretien croisé avec
Élisa Dupont et
Sarah Flan
Pourquoi as-tu choisi d’écrire sur un enfant qui n’aimait pas les câlins ?
Élisa (l’autrice) : J’ai choisi d’écrire sur un enfant qui n’aimait pas les câlins parce que je voulais créer une histoire avec laquelle les enfants pouvaient s’identifier. Je souhaitais leur montrer qu’il est normal de ne pas toujours apprécier le contact physique. De plus, en lisant le livre, certains parents pourraient également se poser des questions sur ce sujet.
Est-ce que tu t’es inspirée du comportement des enfants que tu observes autour de toi pour décrire l’ardeur avec laquelle Gustave évite le contact physique ?
Élisa : En tant qu’ancienne enseignante, j’ai vraiment pris conscience de cette dynamique. Cependant, je pense que tout le monde a déjà rencontré des situations similaires, que ce soit en famille, entre amis ou dans la rue. Personnellement, je ne suis pas très à l’aise avec les bisous ou les câlins, mais j’ai la chance de pouvoir exprimer mon inconfort et que mon choix soit respecté. J’ai constaté que ce n’est pas toujours le cas pour les enfants, ce qui m’a inspirée à aborder ce sujet dans l’album.
En illustrant cette histoire, as-tu inventé des visages pour correspondre aux personnages ou bien as-tu puisé dans ta mémoire pour reproduire des visages déjà croisés ou connus ? Comment une illustratrice donne-t-elle vie à des personnages ?
Sarah (l’illustratrice) : Pour cette histoire et pour imaginer ses protagonistes, je me suis inspirée à la fois d’amies, de visages déjà croisés, et inévitablement de moi-même. Le point de départ était ce que j’imaginais des personnages et de leurs caractères en lisant l’histoire d’Élisa. Mon esprit a ensuite associé ces projections à des visages. Peut-être que partir du réel permet de donner plus de véracité et d’authenticité aux personnages. C’est aussi une manière de célébrer le réel et les personnes qui en font partie, en les faisant devenir les protagonistes d’une histoire. Quand je crée des personnages fictifs, je crois avoir besoin de les aimer pour que le lecteur puisse s’y attacher aussi. Il fallait qu’on ait envie de leur faire des câlins, contrairement à Gustave !
Pourquoi était-il important d’aborder le sujet du consentement chez les enfants ? Est-ce difficile ?
Élisa : Les enfants ne sont pas toujours vus et entendus comme les adultes. Il est courant de voir des adultes forcer les enfants à embrasser quelqu’un. Il est crucial de respecter le consentement dès le plus jeune âge.
Qu’est-ce qui t’a inspirée pour la création des décors (intérieurs et extérieurs) dans l’album ?
Sarah : Pour les décors intérieurs, je me suis inspirée de chez moi, des maisons de mes amies, de leurs parents, ainsi que de celles de mes grands-parents. Je voulais capturer des intérieurs légèrement décalés, désuets mais empreints de charme, avec des planchers qui craquent, des fauteuils affaissés et des objets ayant vécu plusieurs vies.
Pour les décors extérieurs, j’ai puisé mon inspiration dans les bois et forêts du Maine-et-Loire et d’Île-de-France. Lors de récentes cueillettes de champignons avec ma famille et des amis, j’ai eu l’occasion de redécouvrir la forêt. Ces promenades m’ont permis d’observer de près des scarabées, des limaces, des bogues de châtaignes, du houx et des aiguilles de pin, enrichissant ainsi ma vision de la nature.
Plusieurs couleurs dominent dans cet album. Pourquoi les as-tu choisies ?
Sarah : Les couleurs de l’album sont venues de l’illustration où l’on voit Gustave et Papi Guy entrer dans la forêt, qui est ensuite devenue la couverture de l’album. C’est la première illustration sur laquelle j’ai travaillé pour la recherche des couleurs. Pour les décors extérieurs, je voulais des tons évoquant le début de l’automne, sans être trop réalistes. Quant aux personnages, j’ai choisi leurs couleurs en fonction de ce que j’imaginais de leur caractère, de leurs goûts, de leur humeur. J’ai également essayé de créer un ensemble harmonieux et lisible, en optant pour des teintes plutôt douces, avec quelques touches plus vives pour instaurer une atmosphère à la fois tendre et piquante – à l’image du hérisson !
Qu’est-ce qui te prend le plus de temps : trouver l’inspiration et décider ce que tu veux représenter, ou bien réaliser les illustrations finales ?
Sarah : Je ne sais pas trop. Trouver les idées peut prendre du temps : parfois j’en ai plusieurs et il est difficile de choisir, parfois j’ai du mal à en faire émerger une, et il faut peut-être laisser le temps faire son œuvre. Une idée qui semble appropriée au départ peut ne plus me convaincre avec le recul, ou une nouvelle idée peut apparaître et la concurrencer. Parfois, je change d’idée pour finalement revenir à la première. J’aimerais parfois pouvoir travailler un an sur une seule illustration pour trouver la meilleure idée, mais heureusement, les dates de rendu m’en empêchent ! Quant à la réalisation, si tout a été décidé en amont, l’exécution peut aller plus vite, mais elle peut quand même prendre du temps selon la technique choisie. Il arrive également que ce qui avait été prévu ne fonctionne pas, nécessitant alors un retour à la phase de recherche d’idées.
Parmi tous les animaux dotés de piquants dorsaux, pourquoi avoir choisi le hérisson ?
Élisa : Le hérisson permet de créer des scènes dans la forêt, un lieu que je trouve très beau. De plus, la forêt offre à Gustave l’occasion de récupérer des objets à coller sur sa cape. Enfin, le hérisson a un côté mignon ; les enfants n’ont pas peur de lui, même s’ils savent qu’il pique.
C’est la première fois que vous réalisez un livre. Qu’avez-vous découvert sur les métiers d’autrice et d’illustratrice en vous lançant dans ce projet ?
Élisa : C’était très intéressant ; j’ai appris de nouveaux mots liés à l’édition et découvert des questions auxquelles je n’aurais jamais pensé, toujours dans le domaine de l’édition. C’était parfois compliqué, mais cela me donne envie d’écrire d’autres histoires.
Sarah : J’ai essayé de travailler de manière à être le plus proche possible de l’illustration finale intégrée dans l’album. Cependant, le résultat final ne peut être pleinement apprécié qu’une fois l’album imprimé. À ce stade, il n’est plus possible de faire des retouches, ce qui oblige à accepter les imperfections et à tempérer son perfectionnisme. J’ai également constaté que l’illustration d’un album demande de l’endurance et une bonne gestion de son énergie. L’album comprend une vingtaine d’illustrations, ce qui est à la fois peu en comparaison de la réalisation d’une bande dessinée, mais beaucoup par rapport à la création d’une affiche. Le fait qu’il y ait vingt illustrations et non cent implique que chacune d’elles est importante. Par ailleurs, le fait qu’il y en ait vingt et non une seule signifie qu’on ne peut pas passer trois mois sur une seule illustration. Les illustrations se suivent et doivent donc fonctionner les unes par rapport aux autres, créant ainsi un rythme qu’il faut réussir à orchestrer. Mais lorsqu’on tourne la page, on ne voit plus ni l’image précédente, ni celle qui suit ; chaque illustration doit donc aussi fonctionner de manière individuelle. Enfin, il y a la contrainte du format, ainsi que le placement du texte, dont il faut tenir compte dans la composition de l’illustration. Toutes ces contraintes dessinent un terrain de jeu qui me donne envie de recommencer pour expérimenter de nouvelles choses !