Entretien croisé avec
Chris Adam-Fazel
et Aki (Delphine Mach)

Comment t’est venue l’idée de ce livre ?

Chris (l’autrice) : Cela part toujours d’un moment vécu… Ma fille était addict à la tétine, mais surtout, on était en voyage à Berlin, et on n’avait pas pu amener de livres pour les enfants. Le soir, je la vois dans son lit avec une tétine dans la bouche et une dans chaque main, l’histoire est venue comme un flot. Je l’ai racontée en l’imaginant au fur à mesure. Puis je l’ai écrite.

Le troupeau de l'Association Clinamen par Rose Le Bescond

Comme Roger sans coquille, Panique à Tétineville est porteur de messages forts. Qu’est-ce qui inspire tes histoires ?

Chris : J’adore les discussions profondes, échanger, refaire le monde… J’aime connaître les gens dans ce qu’ils ont en profondeur. J’ai besoin d’écrire des choses qui touchent comme la différence, la famille, le rejet. Ça me parle et c’est important aussi que le livre pose des questions aux enfants. C’est mon but.
Après la lecture de Roger sans coquille à des enfants d’amis, un des enfants a dit : « Il y a quelqu’un de différent à l’école, je ne lui ai jamais parlé, j’irai le voir. » Ça m’a tellement touchée, il avait tout compris ! Je rêve qu’on s’accepte tous comme on est, sans jugement. Les enfants, les entendre discuter entre eux sur le monde de l’école parfois dur, ça m’inspire.

Qu’est-ce qui t’a plu dans le texte de Panique à Tétineville ?

Aki (l’illustratrice) : Le côté complètement barré de l’histoire et le potentiel graphique de cet univers original. C’est très différent de ce que j’ai l’habitude d’illustrer.

Extrait de La Cavale de Rose Le Bescond et Lucile Birba, éditions Panthera

Pourquoi imaginer une ville où tout le monde porte la tétine ou encore une ville où tout le monde porte des bottes ?

Chris : Imaginer un monde où même les parents et les grands-parents tètent, où tout le monde a l’obligation de porter des bottes, j’adorais l’idée… Ce livre parle de la tradition familiale et des obligations : c’est la morale de l’histoire. Est-ce que s’en affranchir est si difficile ? Après la différence comme message sur mon premier livre Roger sans coquille, c’était important pour moi d’aborder un tel sujet…

Quelles ont été tes inspirations pour les physionomies particulières des personnages, tant des Tétinois que des Bottevillois ?

Aki : Pour les Tétinois, je les ai représentés mi-enfants mi-adultes. J’ai tout de suite pensé à des gros bébés quand j’ai lu le texte. Il fallait aussi faire en sorte de bien voir leurs tétines, d’où leurs grosses têtes.
Quant aux Bottevillois, c’est le fruit de recherches graphiques. Je me suis posé beaucoup de questions sur ce qu’ils devaient être. Des animaux (mais dans ce cas, lesquels ? Et auraient-ils tous été de la même espèce ?), d’autres humains ? J’ai lu et relu l’histoire et ce qui en est ressorti c’est l’impression d’un peuple sorti de nulle part, complètement fantasmagorique. Je me suis dit que ça pouvait être drôle qu’ils n’aient pas de bras, mais des jambes agiles qu’ils utilisent comme des bras pour mettre l’accent sur leurs bottes. Je dirai qu’au final, on dirait un mix des Barbapapa et des Shadoks… !

Extrait de La Cavale de Rose Le Bescond et Lucile Birba, éditions Panthera

T’es-tu inspirée de travaux d’autres artistes pour penser les éléments architecturaux du livre ?

Aki : Pas vraiment. Je me suis plutôt basée sur l’histoire même. Tétineville est un village fait de blocs comme les blocs de construction avec lesquels les enfants jouent. Les Tétinois sont des grands enfants vivant dans un village qui aurait pu être bâti par des enfants. Et pour Botteville, le nom parle de lui-même. Les habitants vivent dans des bâtiments en forme de botte, tout simplement.

Extrait de La Cavale de Rose Le Bescond et Lucile Birba, éditions Panthera

Quelle a été ton impression lorsque tu as vu ton récit mis en image par Aki ?

Chris : C’est pas du tout ce que j’imaginais, mais c’était encore mieux que ce que j’imaginais ! Sa proposition m’a tout de suite plu : c’est beau, coloré et plein d’humour. Mon texte et ses illustrations très souvent drôles se marient parfaitement ! De plus, Aki vit à Berlin et j’ai imaginé ce livre en vacances à Berlin… on était destinées à faire ce livre ensemble !

Quelle est ta technique de dessin et travailles-tu toujours de cette façon ?

Aki : Tout dépend des projets. En général, c’est une technique mixte : crayonnés sur tablette, dessin sur du papier avec mon rotring ou une plume et/ou couleurs traditionnelles puis digitalisées. Récemment, j’ai trouvé des pinceaux que j’aime bien sur mon logiciel de dessin et qui reproduisent plutôt bien les outils traditionnels. Alors ce projet, par exemple, a été complètement dessiné sur tablette.

Extrait de La Cavale de Rose Le Bescond et Lucile Birba, éditions Panthera

Tes textes sont truffés de jeux avec la langue, est-ce que la lecture à voix haute influe sur ton écriture ?

Chris : Oui, j’écris puis je reviens plein de fois sur le texte que je lis à voix haute. C’est comme ça que tu arrives à voir le rythme, si tes phrases sonnent bien. Puis je le lis à ma fille et mon beau-fils, les cousins, les enfants des copines, je le relis et jusqu’au bout avec mes éditrices on change des tournures de phrases, on raccourcit. J’écris beaucoup, dans les détails, elles sont là pour me guider là-dessus, que ce soit parfois plus efficace. Quant aux jeux de mots, c’est ma passion, j’aime lire et sourire en même temps. Parler aux enfants autant qu’aux parents…

Certains passages sont inspirés de la mise en page BD, est-ce quelque chose que tu aimes faire ?

Aki : Oui, j’ai publié plusieurs bandes dessinées chez Gallimard Giboulées et Comme des Géants. C’est une manière de raconter qui me vient naturellement et dans laquelle je me sens à l’aise.

Extrait de La Cavale de Rose Le Bescond et Lucile Birba, éditions Panthera

Si la fin du caoutchouc arrivait bel et bien, qu’est-ce qui te manquerait le plus ?

Chris : Honnêtement si on pouvait se passer de plastique, la terre s’en porterait mieux, mais si ma fille n’avait pas autant aimé la tétine, l’idée de ce livre n’aurait jamais vu le jour, alors… je dirais les tétines.

Aki : Je serais très triste, car je me déplace à vélo tous les jours et donc, il n’y aurait plus de pneus pour mon vélo (après mille rustines) !

 

Couverture de La Cavale de Rose Le Bescond et Lucile Birba, éditions Panthera

Panique à Tétineville

Chris Adam-Fazel & Aki

L’histoire se déroule dans une ville où tous les habitants portent des tétines. Mais un jour, toutes les tétines disparaissent… L’album conte cette enquête pleine de rebondissements !