Entretien avec
Camille Gobourg
Comme dans l’ensemble de ton travail, la nature et le végétal sont omniprésents dans Yune. Peux-tu nous expliquer ce choix ?
Je vais régulièrement en Ardèche où j’en profite pour collecter des éléments du réel sous forme de croquis. Revenue à mon bureau, je les assemble avec des éléments imaginaires en les réinterprétant, souvent en m’éloignant des couleurs du réel. Je trouve que dans la forêt, on a la sensation d’être hors du temps, dans un milieu rassurant et magique favorable aux histoires. Tout y est beau et bien composé, l’arbre qui pousse en travers du rocher, les détails des toutes petites plantes qui poussent dans la mousse, les brindilles dans les feuilles mortes. Se sont des décors propices à l’aventure et l’imaginaire. Pour illustrer Yune, je n’ai pas utilisé de dessins en référence mais le temps passé à observer a dû infuser mon imaginaire. Lorsque j’imagine des histoires, elles se déroulent souvent en pleine nature.
L’héroïne de Yune est une jeune femme qui se retrouve plongée dans un monde inconnu et qui cherche à sauver une espèce menacée. Comment as-tu construit ce personnage et son lien avec les créatures qu’elle rencontre ?
J’ai écrit cette histoire comme elle venait. La scène de la rencontre entre l’animal jaune et la fille bleue sont les premières pages que j’ai dessinées. Au tout début, je ne savais pas que ça allait devenir une BD, avec une histoire de 160 pages ! Selon moi ce peuple connaît sa fin inévitable et sait que cette être bleue venue d’ailleurs est la clef de leur renaissance future. Mais pour y arriver, elle va avoir besoin de plusieurs guides qui vont lui apparaître au fil de l’histoire pour l’aider. En avançant dans l’écriture de histoire, j’avais envie que les membres de cette petite troupe soient complices entre eux et que le lecteur puisse ressentir quelque chose de malicieux et doux.

Tu as choisi de réaliser cette BD avec des Promarkers (feutres à alcool). Est-ce une technique que tu utilises souvent ? Qu’apporte-t-elle de particulier à Yune ?
J’ai commencé à dessiner avec ces feutres pendant le confinement et je ne les ai plus lâchés ! J’aime la matière que les feutres à alcool donnent aux aplats et aussi les nuances de couleurs que l’on peut avoir en superposant les différentes teintes. Je trouve que c’est une technique qui se prête bien à l’impression, d’ailleurs on me demande régulièrement si mes impressions sont des originaux. Je trouve que l’impression du livre rend bien cet effet de matière un peu duveteuse. Les couleurs aussi restent vibrantes grâce à l’ajout du rose fluo en remplacement du magenta dans la quadrichromie.

L’univers de Yune est à la fois enchanteur et inquiétant. Quelles ont été tes inspirations pour créer ce monde et son atmosphère si singulière ?
L’univers que j’avais mis en place au début était plus sombre, mais j’avais vraiment envie que le lecteur puisse se fondre dans l’histoire en douceur et que le dessin l’enveloppe comme un calin. J’ai construit mes images finales en gardant ça en tête. Je pense que c’est de ce paradoxe entre l’histoire et le visuel que naît l’étrangeté. D’autre part je me nourrit beaucoup visuellement. Au quotidien j’aime m’entourer de choses graphiques qui me plaisent pour me créer une sorte de cocon créatif. Enfant j’ai eu la chance d’avoir accès à beaucoup de livres comme ceux de Claude Ponti ou Philippe Corentin qui fourmillent de détails et de personnages loufoques. J’ai retrouvé cet univers florissant, bien plus tard, dans les films d’animations japonais de Miyazaki ou Takahata.

La narration est très fluide malgré l’absence de texte. Comment as-tu pensé sa construction pour arriver à ce résultat ?
Quand j’imagine une scène avant de la mettre sur papier, c’est comme si je voyais un petit film d’animation. Je vois les personnages bouger et jouer leur scène. Une fois que je l’ai bien en tête, je choisis les différents moments qui me semblent pertinents et je les dessine. S’il me semble que la scène n’est pas assez compréhensible, je rajoute des images de transition.
Si tu devais décrire Yune en une phrase à quelqu’un qui ne connaît pas ton travail, que dirais-tu ?
Yune est un récit sans texte, mais loin d’être sans histoire, qui conte une étrange épopée dans un univers arboré multicolore.
